Error 404 - Garbrielle&Ben

En général, j'aime pas faire des détours, dans tous les sens du terme. J'aime pas y aller par quatre chemins, quand je veux demander quelque chose, j'y vais ! Je balance une ou deux vannes avant, histoire de bien faire passer le tout et quand je sens que j'ai une ouverture, je fonce, fin de l'histoire ! Pourtant, ces derniers temps c'est plus des détours que j'ai l'impression de faire, c'est surtout que je tourne carrément en rond. Ça fait facilement un mois que j'ai envie de proposer à Gabrielle de manger au resto avec moi et j'ai toujours pas eu les couilles d'y aller. Si je venais pas d'exploser mon recors perso au tetris, je me ferai sérieusement de la peine.

Gabrielle, je l'ai connu grâce à mon ami et mentor, Sylvain Krakovska, celui qui m'a tout appris. Si je suis aussi bon en programmation, c'est pas seulement par l'opération du saint esprit, ni à cause de mon génie, c'est surtout grâce à lui. Au moment de partir à la retraite, il m'a enseigné l'art d'être prof et m'a laissé sa place. Je parle plus souvent à cet homme qu'à mes propres parents ! Et il s'avère que ce vieux monsieur blagueur et aussi geek que peu l'être quelqu'un de 75 balais est le grand père de Gabrielle. Je ne l'appréciais pas particulièrement au début : il faut dire aussi qu'elle est en droit et le droit et moi, c'est une longue histoire qui s'est soldée par un renvoie de l'une des plus prestigieuses fac de Suisse dans le domaine. Mes parents ont toujours rêvé de me voir devenir avocat. J'ai essayé de leur faire plaisir, mais comme je le dis tout le temps à mes étudiants, les études, c'est quelque chose qui doit venir de soi, pas des autres. On choisit sa voie seul, se laisser guider par ses parents, c'est le meilleur moyen pour foncer dans le mur et être malheureux dans son boulot pour le reste de sa vie. Et ça, franchement, c'est encore plus triste que la mort de Yoda dans Star Wars.

Ça part encore dans tous les sens dans ma tête, il faut vraiment que je me reprenne. Quoi qu'il en soit, ces derniers temps, le courant passe beaucoup mieux entre Gabrielle et moi. On est tous les deux profs à Little Paris et même si on enseigne dans des bâtiments totalement opposés, en général j'essaie de m'arranger pour passer dans les couloirs où elle donne ses cours. Je crois qu'elle me plaît. Non en fait j'en suis sûr. Putain je ressemble de plus en plus aux geeks trouillards et renfermés qui pullulent dans mes cours ! Peut être que j'en suis un en fin de compte...

La musique du générique du dernier film de science fiction du moment se met tout d'un coup à résonner dans la salle et je sors brusquement de ma rêverie. Bordel, je suis encore en plein cours là, ça craint ! L'étudiant qui a laissé son portable allumé se précipite dessus pour l'éteindre, s'attendant probablement à ce que je lui passe un savon. En temps normal, je lui aurai sûrement fait une réflexion, histoire qu'il se tape un peu la honte devant tout le monde mais j'ai pas la tête à ça, je suis trop perturbé là. Je regarde ma montre et, en constant qu'il ne reste que 2 minutes de cours, j'interpelle mes élèves que j'ai chargé de reprogrammer une carte mère dans sa totalité :

« Vous pouvez vous arrêter là, vous avez bien bossé, on reprend ça demain. Préparez vous à faire chauffer le clavier, je ramènerai le chrono et le premier qui me finira ça aura le droit de me défier au démineur. »

Mes étudiants remballent tous leurs affaires et s'en vont. Je ne traîne pas longtemps dans la salle non plus : en réalité, on peut même dire que je me rue dehors, limite en les poussant pour rejoindre le quartier Mirabeau où se trouve l'area de Droit. C'est bon, ça va bien comme ça : si l'idée de proposer un resto à une fille me travaille au point de me distraire de mon propre cours, c'est qu'il y a quand même un gros problème là ! Il faut que je me jette à l'eau. Aujourd'hui. Essouffler, j'arrive devant le grand bâtiment en un temps record (nan ça c'est pas vrai : le sport et moi, c'est pas une grande histoire d'amour, j'aurai sûrement été plus rapide en marchant en réalité...). Je tente de reprendre mon souffle en scrutant les alentours. Pas très loin, je finis par repérer la jolie Gabrielle et déglutis difficilement. Allez mon grand c'est le moment là, montre ce que t'as dans le ventre ! Je me redresse, retape un peu mes fringues et me racle la gorge. Plusieurs fois je me retiens de faire demi-tour en courant pour rentrer chez moi et pleurer sur ma lâcheté en me consolant devant ma Xbox avec Laura Croft. Mais je suis décidé, et même si c'est dur, je vais y aller.

J'arrive enfin près de Gabrielle et lui souris, tentant de cacher ma nervosité en ouvrant et fermant les mains de façon compulsive (en gros, on voit très bien que je suis nerveux. Si j'avais écrit « Je suis nerveux » sur mon front, le résultat aurait été le même). Le plus naturellement possible, je lui dis :

« Gabrielle ! Quelle... quelle coïncidence de te voir ici ! »

Putain ça commence bien...

« Je voulais savoir... Tu... Tu as fait quelque chose à tes cheveux ? »

Bordel, assommez moi par pitié...

« C'est très beau ! J'veux dire, tu es très belle. ENFIN NON ! SI ! Tu veux aller dîner avec moi ce week end ? »

Error 404. Fin du game pour moi. Je suis cuit.